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Ma première maîtresse

Ma première maîtresse, loin d’être la dernière, je l’ai rencontrée dans la cour de l’école maternelle.

Je devais avoir à peine quelques mois de vie, et peut-être quelques bougies au compteur, quand par un beau matin de septembre, brumeux comme ils savent l’être dans mon Nord natal, l’un de mes frères me prit par la main pour m’emmener vers ces terres austères. A vrai dire, j’étais plutôt content de prendre l’autobus, « comme les grands »… mais si j’avais su sur quel terrain je m’engageais, j’aurais préféré partir à pieds et ne jamais y arriver !

Dans la grande cour de récréation, mon premier contact fut celui du sol… Assez douloureux, certes, mais la bosse passée (et les pleurs effacés par la renommée légendaire de mon courage enfantin), je découvris qu’il y avait une vie à mes genoux : des cailloux, des rigoles, des bouts de choses dont j’ignorais jusqu’au nom ! Chic, c’était un lieu où tout était à découvrir… Il allait me falloir du temps.
Déjà occupé à examiner le premier spécimen de brindille desséchée par un mois d’été, un gaillard gringalet vint avec ses tâches de rousseurs et ses gros muscles me pousser, certainement pour mieux me montrer la nature du terrain que j’étudiais.
Devant la sirène déclenchée par mon système nerveux, une personne inconnue, qui pourtant me connaissait, accourut, me prit par la main en répétant des « allez, ce n’est rien » (mais si, c’était quelque chose ! On allait priver le monde d’un grand chercheur en géologie scolaire !), et me conduisit dans une salle certainement aussi chaude que la maternité dans laquelle j’étais né.

Là, ma première réaction fut olfactive. Beeeerk. Mon vocabulaire étant assez réduit à cette époque, et mon éducation m’interdisant de laisser apparaître une critique sur l’environnement dans lequel j’étais invité, je me contentai de fermer l’accès à mes narines. Les adultes jubilent souvent en repensant aux odeurs des classes maternelles, au parfum de leur maîtresse ou à leur colle « cléopâtre », pour ma part, l’heure était à la sélection d’informations : cette odeur devait partir dans mes oubliettes neuronales, dans mon vide mémoriel (ça ne veut pas dire grand chose, mais ça me plaît).

Là, on me présenta des tas de gens : « elle c’est Martine ». Martine ! Comme si on avait élevé les cochons ensemble (certes à mon jeune âge je n’avais pas eu grande occasion d’expérimenter un élevage porcin conséquent, mais cela n’enlevait rien au fait que cette familiarité subite me dérangeait). L’autre, c’était Sylvie. Tiens, elle avait l’air plus douce que Martine, et surtout, elle sentait moins mauvais. Il faut dire, si Martine lit par hasard un jour ces lignes, que « sentir mauvais » dans mon échelle d’appréciation signifiait « être très éloigné de l’odeur de ma mère ».
Enfin, la dernière qui me parlait, c’était ma maîtresse. La révélation de mon existence ! Celle qui allait me montrer que l’idéal féminin n’était pas la seule individualité maternelle. Celle aussi qui m’apprendrait ce que peut être une femme, une vraie : organisée, tendre, bavarde, souriante, belle ; en gros (au sens figuré le « gros »), une nouvelle maman qui devait certainement permettre à ma première mère de se reposer. C’est étrange, je n’avais pas l’impression d’être trop présent à la maison, ni trop exigeant ou possessif, mais cela devait être ainsi : il me fallait m’habituer à cette nouvelle femme dans ma vie.

Heureusement, j’étais bien tombé. Le hasard des répartitions aurait pu me faire subir le sort d’être scolarisé chez Simone ou chez Gertrude (on comprend, avec des enseignants portant de tels noms, comment certains hommes à la suite de leur vie parviennent à supporter des femmes très spéciales…), mais j’avais eu la chance de tomber sur la sublime Roselyne. Un prénom tout en chanson, digne du plus beau roman d’amour qu’il ne me serait jamais donné de lire.

The schoolteacher © Ginette AnfousseCertes, cette première maîtresse faisait preuve d’éparpillement sentimental. Je constatais en effet que, lorsque je n’étais pas en situation délicate, elle allait s’occuper d’autres individus, qui n’étaient ni mes frères, ni mes soeurs, ni des étrangers ; pire que ça, c’était des Autres.
De ces premières heures en maternelle provient certainement le fait que les humains, particulièrement les hommes, ont toujours le besoin de se plaindre ou de se sentir perdus : c’est dans ces situations qu’une femme surgit de nulle part pour tenter de vous consoler. Depuis le temps, je me suis aguerri, et je tente par tous les moyens de ne pas laisser paraître le moindre désarroi, de peur de voir réapparaître Martine, ou son clone… Et puis, en grandissant, conscient que toutes les femmes ne s’appelaient pas Roselyne, j’ai bien compris qu’elles ne travaillaient pas toutes dans des écoles maternelles, c’est peut-être cela aussi qui sauve notre espèce.

Roselyne fut ma première aventure. Certainement la meilleure de mon parcours scolaire, puisque c’est bien la seule qui ne me laissa aucun souvenir émotionnel fort, si ce n’est le fait d’être bien avec elle. Les autres qui suivirent furent très différentes : l’une était trop marquante, l’autre criait fort, l’autre était grosse (je lui en voulais à l’époque), la quatrième était ennuyeuse, la suivante était un homme (il n’y pouvait rien, le pauvre), et la dernière me faisait peur avec ses dents jaunies et ses manières arrogantes.

N’y voyez pas là un conseil pour la gent masculine, mais je compris ces premières années quel était le secret pour être une bonne maîtresse : il fallait pour elle se faire oublier tout en veillant à mon bien être. C’est bien simple, il suffisait que j’y pense pour qu’elle soit là, que je l’oublie pour qu’elle disparaisse… La femme idéale ! Aujourd’hui, ayant mûri un peu, je ne l’appelle plus femme, mais conscience.

Si, presque 30 ans plus tard, j’avais l’idée de dresser un bilan de l’impact qu’a produit sur ma vie quotidienne ma première maîtresse, je découvrirais peut-être que c’est elle qui a régi toute mon existence, et qui m’accompagne encore dans mes actes quotidiens… Et si aujourd’hui je me retrouve à l’école du côté « maîtresse » (façon de parler bien sûr), c’est certainement par volonté de donner à mon tour ce qu’on a bien voulu me faire recevoir : une présence bienveillante, un regard plein de confiance, et un espoir vers un meilleur devenir (passionnant mais exigeant !).

16 commentaires

1 siou { 11.09.05 à 8:37 }

Ah ! enfin je retrouve le "style JR" !
Quel plaisir de lire cette nouvelle, as-tu pensé à envoyer tes textes à un éditeur ?
(ce n’est pas une plaisanterie !)

2 JR { 11.09.05 à 11:07 }

Non, non, je n’y ai jamais pensé, mais ce ne sera pour demain… Un blog, c’est déjà pas mal, et franchement, je ne pense pas être si doué que tu le prétends (mais non, n’insiste pas :o )). Faut dire que quand on est fan, on est un peu aveuglé, eh eh !

Merci en tous cas d’être fidèle !

3 Véro { 11.09.05 à 14:45 }

J’aime beaucoup ton style que j’avais déjà pu apprécier sur le site "cartables". Je reviendrai…

4 ta fan mystérieuse démasquée { 11.09.05 à 15:28 }

C’est toujours un plaisir de te lire !

Et d’accord avec Siou, contacte un éditeur !

5 Lindt { 11.09.05 à 17:31 }

Et bah di donc tu m’épate… ça donne envie de retourner à l’école… Bien que je n’eu pas eu des tonnes de maitresses comme toi !
Ca doit aussi être rigolo de t’avoir comme "maitresse" !! Promis je ne rigolerai pas quand tu nous fera un cours sur les lapinettes et autre flore des dunes herbeuses… ^o^

Enfin j’me comprends ;p

6 ton autre fan { 12.09.05 à 7:09 }

Un peu de douceur dans ce monde de brutes ! Quel bonheur de te lire après ce long sevrage! Mais ça valait le coup d’attendre…maintenant je comprends mieux le petit Pierre…je t’expliquerai!

7 ton autre fan { 12.09.05 à 12:53 }

Je n’ai pu m’empêcher de le relire…encore!

8 Nausicaa { 19.09.05 à 9:46 }

Bravo et d’accord avec siou! Contact un éditeur!

9 Antoine { 25.09.05 à 16:04 }

Bon, j’arrive toujours trop tard en ce moment car tout le monde est déjà passé.

En plus je voulais dire la même chose qu’eux !

Enfin ce n’est pas trop grave, j’en profite pour te féliciter également.

JR, on te reconnaît bien au travers de ce texte et l’heure vers laquelle il a été écrit !

10 Roselyne { 23.10.05 à 19:03 }

non, je plaisante! :)

11 JR { 23.10.05 à 19:19 }

Bon, je n’y ai pas cru au coup de Roselyne, mais si jamais elle passe par là, je lui fais un grand coucou :o )

Et merci pour vos commentaires à chacun… J’écris bientôt un nouveau billet.

12 elsy { 05.11.05 à 16:03 }

J’adore…

Bravo!

(A quand un texte sur le foot?…. non je rigole, je préfère lire tes histoires de la vie..)

13 alexandra { 07.12.05 à 18:10 }

l’espace d’un instant, je me suis vue transportée dans cet univers si nouveau qu’a été ton école maternelle et devant Roselyne…
Ce fut un vrai plaisir de te lire…

14 Scarlett { 29.01.07 à 16:02 }

C’est charmant !

15 Scarlett { 29.01.07 à 16:03 }

C’est charmant !

16 Martine et les cochons… « Nos ancêtres { 12.01.12 à 7:23 }

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